vendredi 8 octobre 2010

Bon courage au prochain président de la République (Garry Azémar - Le Nouvelliste Haiti)

Bon courage au prochain président de la République

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=84277&PubDate=2010-10-07

La campagne électorale est officiellement lancée. Pour le plus grand soulagement de la pléthore de prétendants au fauteuil présidentiel qui commençaient à trépigner d'impatience.
           
         
Haïti: Dix-neuf candidats (avant ils étaient 34 !), tous grands patriotes devant l'Éternel, et qui, deux mois durant, nous rebattront les oreilles de leurs discours lénifiants et essayeront de nous convaincre de voter pour eux, vu qu'ils détiennent la solution aux multiples problèmes qui accablent le pays. Certains d'entre eux n'ont même aucune notion des attributions d'un président de la République et savent qu'ils n'ont aucune chance de gagner. Mais ils sont candidats quand même et affectent de se prendre très au sérieux. Que voulez-vous : l'institution présidentielle a tellement traîné dans les ruisseaux ces dernières décades que n'importe quel zigoto croit pouvoir devenir président.
Pendant deux mois donc, l'électorat sera soumis à une bonne indigestion de promesses et n'aura que l'embarras du choix et le choix de l'embarras.

Sortira-t-il de la prochaine présidentielle un président qui aura vraiment à coeur de changer les choses en Haïti ? Rien n'interdit de rêver. Mais il ne faut pas rêver en couleur. Ici, le patriotisme veut qu'on vise les charges civiles pour en tirer richesses et prestige. Il en a toujours été ainsi et il n'y a pas de raison que cela change. On sait ce que valent les promesses électorales.

Mais ne soyons pas si fatalistes. Osons croire que notre prochain président sera cette fois-ci plus qu'un nationaliste de nom et qu'il sera vraiment soucieux de changer les choses. Être au pouvoir dans ce pays n'a jamais induit aucune espèce de responsabilité ni envers les citoyens, ni envers le pays. Encore moins envers les générations futures. Depuis deux cent six ans, nos braves dirigeants ont pris la pernicieuse habitude de se contenter d'occuper la place et de jouir outrageusement des privilèges de la fonction. Aujourd'hui le pays végète dans l'indigence la plus abjecte et ne doit sa survie qu'à la débrouillardise désespérée de ses braves habitants et à la charité de la communauté internationale à laquelle on a quand même le toupet de reprocher de ne pas donner assez et à temps.
Tout est à faire dans cette sacrée première République noire indépendante au monde. Et tout est tellement urgent qu'il n'est du tout pas aisé de savoir par où véritablement commencer. Il faudra cependant commencer quelque part et faire enfin le premier pas dans la bonne direction. Et ce devrait être la tâche de la prochaine administration.
Quand il s'agit de parvenir au pouvoir, de s'y accrocher comme si leur survie en dépend, nos glorieux timoniers font toujours preuve d'une science admirable et d'un savoir-faire sans égal. Persécutions, arrestations, bastonnades, tortures, enlèvements, disparitions : ils ont le choix des moyens. Ils réussissent même, chose pourtant difficile, à se draper dans le manteau de la démocratie pour « dictater » à l'aise. Mais s'agit-il de résoudre le plus petit problème, ils perdent aussitôt toute leur science. Pour ne pas avoir à agir, ils préfèrent imputer la responsabilité de nos malheurs à la lenteur de la communauté internationale à décaisser, au colonialisme français, à la dette de l'Indépendance, aux coups d'État militaires...

Comme quoi Haïti serait le seul pays de l'hémisphère à avoir été colonisé ou à avoir connu des coups d'État. Réfugiés derrière ces échappatoires grotesques et secondés en cela par la stupidité sans faille d'une multitude friande de slogans, ils peuvent librement s'occuper à ne rien faire. Et à faire fortune pour tuer le temps.            
Depuis deux cent six ans donc, le pays est pratiquement confronté aux mêmes problèmes : chômage massif, black-out permanent et généralisé, insécurité galopante, insalubrité des rues, bidonvilisation, ruralisation des villes, déboisement accéléré, précarité alimentaire, analphabétisme, etc. Pour les résoudre nous avons essayé tous les régimes. Nous avons connu le gouvernorat à vie, l'empire, la royauté, la république... Rien n'y fait : ils demeurent entiers et augmentent jour après jour.

La prochaine équipe au pouvoir voudra-t-elle changer les choses ? Ce n'est pas le travail qui manque, pardi ! Mais elle aura la partie d'autant moins belle que l'équipe sortante ne lui aura pas laissé la tâche facile. Car c'est une constante de la politique haïtienne de compliquer au possible l'action de son successeur pour faire oublier qu'on a été impuissant ou carrément incompétent. Parce qu'on a échoué, son remplaçant doit à son tour échouer. Au besoin il faut l'aider à échouer. La solidarité dans l'échec, quoi ! De ce côté-là, l'équipe actuelle peut se vanter d'avoir réalisé un coup de génie. C'est même son meilleur ouvrage en cinq ans d'inertie totale.
Par exemple, huit mois après le séisme, qu'est-ce qui a été fait ? Rien ou presque. À la prochaine administration de tout faire. Tenez : à défaut d'enlever les ordures et de déblayer les rues, qu'est-ce qui a empêché de loger ailleurs et dans de meilleures conditions sanitaires et de sécurité les réfugiés du Champ de Mars et des autres places publiques pour atténuer l'image apocalyptique de Port-au-Prince ? On nous dira que ces gens ne voulaient pas être logés ailleurs, qu'ils voulaient rester près des ruines de leurs anciennes demeures. C'est bien vrai. Mais la vraie raison c'est que, dans la perspective des prochaines joutes, il était surtout prudent de ne pas chercher noise à un électorat aussi sûr et si bon marché. Ce serait la meilleure recette pour perdre les élections. À la prochaine administration donc d'encourir le courroux de ces gens, d'enlever les décombres, reloger tous les sinistrés, reconstruire la ville, ramasser les ordures, combattre l'insécurité, juguler le chômage, faire baisser le coût de la vie et tout le reste.

Et puisque les caisses de l'État sont vides et que les promesses d'aide de la communauté internationale tarderont longtemps à se matérialiser, elle sera à la merci de la populace affamée, de la multitude des déplacés exaspérés par leurs conditions de vie dans les camps de fortune. Elle sera surtout une proie facile pour l'opposition. On feindra d'oublier qu'on avait laissé du temps à l'équipe sortante pour ne rien faire et qu'il faut en laisser à la nouvelle pour faire quelque chose si l'envie lui en prenait.

Non, la prochaine administration n'aura pas la tâche facile. Néanmoins, si elle se rappelle que le pouvoir doit s'exercer en vue du bien commun et qu'il n'a d'autre finalité que de servir, protéger et promouvoir, ce sera déjà encourageant. Le nouveau chef de l'État devra, entre autres, et même avec les moyens du bord, travailler à offrir au monde civilisé une nouvelle perception d'Haïti et des Haïtiens. Il lui faudra surtout songer à construire l'État, éduquer le peuple, le mettre au travail, lui faire miroiter un avenir. Il devra principalement se familiariser avec la notion de l'ordre. Car n'ayons pas peur des mots, c'est l'anarchie qui nous gouverne depuis deux siècles : anarchie dans l'administration publique, dans le fonctionnement des écoles, dans le système des transports, dans la circulation des véhicules, dans la distribution de la justice, la façon d'occuper l'espace, partout.

Mais par-dessus tout, il devra réconcilier la famille haïtienne avec elle-même. Car ces vingt dernières années, les clivages politiques ont balkanisé la société en autant de petits clans ennemis et acharnés à s'égorger qu'il y a de prétendus partis. Embarqués sur la même galère, nous devons enfin apprendre à ramer ensemble.

Prions pour que la prochaine présidentielle dote enfin le pays d'un président humain et souhaitons à celui-ci bon courage. Car du courage, il en faut beaucoup pour diriger le pays dans le contexte actuel.

Garry Azémar
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"La vraie reconstruction d'Haïti passe par des réformes en profondeur des structures de l'État pour restaurer la confiance, encourager les investisseurs et mettre le peuple au travail. Il faut finir avec cette approche d'un État paternaliste qui tout en refusant de créer le cadre approprié pour le développement des entreprises mendie des millions sur la scène internationale en exhibant la misère du peuple." Cyrus Sibert
Reconstruction d'Haïti : A quand les Réformes structurelles?
Haïti : La continuité du système colonial d'exploitation  prend la forme de monopole au 21e Siècle.
WITHOUT REFORM, NO RETURN ON INVESTMENT IN HAITI (U.S. Senate report.)

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