Le Matin - Vendredi 9 - Jeudi 15 avril 2010 No. 34213
Éditorial
Collusion !
Ils ont encore osé, ces députés! Le vote favorable massif qu'ils ont donné jeudi au projet gouvernemental portant modification de la loi d'urgence de septembre 2008 dit long de la moquerie que ces parlementaires d'un nouveau genre font de la fonction législative. C'est comme si nous étions irrémédiablement piégés dans une logique de coup de force permanent contre la constitution. Tous les coups-bas politiciens et les artifices légaux et para-légaux semblent permis dès qu'il s'agit d'ancrer l'extraconstitutionnel dans une forme quelconque de légitimité parlementaire. Ou quand il s'agit désormais de sauver des décombres les rituels formels qui donnent à un État effondré et pré-moderne son vernis républicain.
Il y avait, incontestablement, lieu de réviser la loi d'urgence pour la rendre plus conforme aux exigences du moment. Dans sa version pré-12 janvier, elle limitait trop dans le temps la latitude de l'Exécutif et ne disposait d'aucune provision qui permettrait d'encadrer plus ou moins légalement les plans de co-gouvernance ou de « co-tutelle » qui seront mis ouvertement en oeuvre bientôt en Haïti dans le cadre de la reconstruction. Dix-huit mois de mise en veilleuse de fait de la constitution ! Dix-huit mois, et peut-être plus - qui sait ! -, de pouvoirs étendus et exceptionnels entre les mains de l'Exécutif et de ses codécideurs étrangers de la déjà très conflictuelle commission mixte dite intérimaire. Tout cela, hors des contrôles réglementaires conventionnels reconnus dans un État de droit. Il y a, certes, péril et urgence dans la demeure. Mais fallait-il pour autant user de la stratégie de l'évitement pour annihiler toute velléité d'engager un débat démocratique contradictoire sur la pertinence de la demande du gouvernement ? N'était-il pas tout aussi impérieux de délibérer selon une dynamique plus concertative et participative sur la durée légale de la période d'urgence ? Les logiques supranationales et de survie politique individuelle ne sauraient se substituer aux interactions citoyennes intra-sociétales visant l'intérêt général. Évidemment la majorité parlementaire du président de la République en a décidé autrement. Il va falloir s'y faire. Entièrement acquis aux voeux fondés voire aux caprices illégitimes de leur chef, les hommes et femmes du camp « Inite » au parlement semblent allergiques à ces exercices discursifs sur le devenir de la cité. La feuille de route parait être de voter et d'approuver coûte que coûte sur le mode de John Joël Jean et de court-circuiter les joutes oratoires et les parades de rhétorique souvent verbeuses mais parfois sensées et très utiles à la Rudy Hériveaux. Un refus viscéral du débat qui trivialise la vie parlementaire, quitte à émasculer et rendre insignifiante la prestigieuse institution auxquels appartiennent ces volontaires du « oui-oui » partisan. Ils sont comme frappés d'atonie intellectuelle dans la satisfaction libidinale de leurs intérêts subjectifs du jour.
Des sénateurs non apparentés à la mouvance présidentielle unitéiste, et qui, d'un point de vue légaliste, sont loin d'être eux-mêmes en odeur de sainteté, projettent d'engager le fer sur le texte voté par la Chambre des députés. D'autres vont jusqu'à qualifier ce vote de nul et non avenu puisque contraire, selon eux, aux dispositions constitutionnelles. Comme quoi, la modification aurait dû être le résultat d'un vote en Assemblée Nationale.
Vraiment ? La vérité, c'est que l'état d'urgence n'est pas prévu dans notre Charte fondamentale. D'ailleurs, ce n'est point uniquement la modification introduite par l'Exécutif, et approuvée aux termes d'accrocs procéduraux majeurs par les députés, qui se révèle inconstitutionnelle. L'inconstitutionnalités'inscrit plutôt ici génétiquement dans le texte adopté en Septembre 2008 et réactivé solennellement en janvier dernier suite au séisme. Ce péché originel entache d'irrégularités tout le processus ayant abouti à sa promulgation initiale jusqu'à sa modification actuelle telle que voulue par le chef de l'Etat et son équipe. Car il s'est agi au départ d'une dénaturation et d'un dévoiement du régime exceptionnel de l'état de siège prévu par la Constitution de 1987 en son article 278 et ses quatre alinéas.
Monsieur Préval n'a jamais été seul, et ne le sera sans doute jamais, fût ce au crépuscule de son mandat présidentiel régulier, dans cette sarabande d'initiatives exécutives bâclées et constitutionnellement irrecevables. Il a toujours bénéficié, en tout et pour tout, de l'onction parlementaire et de l'agrément d'autres secteurs nationaux clés. Dès lors, il ne saurait être l'unique figure de la présente conjoncture envers qui l'histoire sera sévère, si elle devra l'être. S'il y a un déséquilibre insoutenable et inacceptable au parlement en faveur du pouvoir dans la configuration des forces politiques et la représentation des intérêts sociaux, il y a parfaite symétrie entre les groupes, là-bas et au-delà, dans la chaine des irresponsabilités. Il y a même copaternité dans l'accouchement des dérives.
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