lundi 19 avril 2010

Haiti: La Nécessité d'Amender la Constitution de 1987

                                                  
                                                   Jean Sénat Fleury 4/18/10
                                                    www.jeansenatfleury.com
 
La Constitution du 29 mars 1987 très formaliste donne lieu une série d'interprétations tout en laissant place à bien des vides. Cette analyse peut s'avérer pertinente, cependant si je la fait, ce n'est pas pour froisser les egos des honorables constituants qui ont travaillé sur le texte – dans les conditions émotives, difficiles et apparemment pressantes, vécues en 1987 après la chute de vingt-neuf années de régime À Vie des Duvalier – ; ni pour déshonorer le vote des millions d'Haïtiens –dont le mien- qui ont dit oui à cette Constitution. C'est seulement pour transformer des points de vue et explorer les mécanismes qui l'ont créée en vue d'un renforcement institutionnel en Haïti. Et même si l'on estime que mon analyse est hasardeuse, ma longue carrière judiciaire me permet de jeter un regard juste sur certaines limites et faiblesses dans notre charte constitutionnelle avec l'idée que la Constitution d'un pays –acte juridique suprême- n'est pas intouchable. D'autant plus, le principe de l'amendement est prévu dans les articles 282 et suivants au titre XIII de la Constitution de 1987.
 
Déséquilibre Institutionnel –Voie de Résolution
Pour peu que l'on s'interroge un instant, on s'aperçoit qu'un équilibre institutionnel fait défaut en Haïti qui traverse depuis 1986 à nos jours d'une ère d'instabilité politique chronique. Il suffit de considérer le déséquilibre des pouvoirs Législatif et Exécutif et on réalise qu'un renforcement du pouvoir exécutif est nécessaire en Haïti. A côté des pouvoirs traditionnels du président de la République reconnus dans la Constitution de 1987 (promulgation des lois, nomination des directeurs généraux de l'administration publique et des ambassadeurs, droit de grâce pour les prisonniers condamnés…); des droits nouveaux et exceptionnels doivent lui être reconnus. Je propose :
1-      Comme par exemple, le droit de recourir au referendum pour soumettre à l'approbation populaire certaines dispositions législatives doit lui être reconnu.
2-      De plus, s'il est judicieux d'interdire au président le droit de briguer un troisième mandat, pourquoi lui empêcher de participer aux élections pour un second terme tout de suite après la fin du premier mandat. Pourquoi attendre un intervalle de cinq avant sa réélection.
3-      Enfin, lorsque les institutions de la République, l'Indépendance de la Nation, l'intégrité du territoire ou l'exécution des engagements internationaux sont menacés d'une façon grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu; le président doit jouir d'une disposition constitutionnelle qui le fait devenir automatiquement détenteur des pouvoirs exécutif et législatif et seul responsable politique de la nation. Ainsi seulement, en qualité de chef de l'Etat, il peut veiller au respect et à l'exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions pour assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. Mais si je pousse un peu plus loin l'analyse: Haïti doit-elle continuer avec le régime parlementaire ou adopter le régime présidentiel selon le modèle américain? Toutes nos crises gouvernementales depuis 1991 ne sont-elles pas les conséquences du système politique haïtien trop compliqué pour un pays qui fait l'apprentissage de la démocratie après des décennies de dictature? 
 
Crise électorale
La Constitution du 29 mars 1987 n'offre aucune solution constitutionnelle pour une sortie de crise en cas d'un conflit postélectoral ou après élection. Loin de fournir des mécanismes, la Constitution de 1987 par ses limites semble plutôt fermer la voie à toute solution constitutionnelle et juridique à un conflit électoral. On a toujours eu en place un conseil électoral provisoire avec un plein droit de décider comme tribunal suprême. On a en mémoire la crise provoquée par l'arrêt de la Cour de Cassation en faveur du candidat à la présidence, Dumarsais Mécène Siméus, et ensuite cet arrêté du gouvernement Boniface/Latortue mettant à la retraite les cinq juges de la Cour de Cassation qui ont tranché dans le dossier. Cette mise à la retraite des cinq magistrats de la Cour de Cassation avait déclenché l'épineux conflit entre l'exécutif et la judiciaire. Magistrats, avocats, arpenteurs, notaires, membres de la société civile, conseil des sages…; ils ont tous été mobilisés pour réclamer le retrait des deux arrêtés présidentiels mettant à la retraite, de manière inconstitutionnelle, cinq haut magistrats de la Cour de Cassation et nommant cinq autres pour les remplacer en les faisant prêter serment au palais national. Conséquences de cette mesure: Les activités judiciaires ont été bloquées pendant près de deux mois à travers le pays.
 
Double Nationalité
La Constitution de 1987 doit être amendée en vue de reconnaître aux Haïtiens de l'extérieur les mêmes droits, privilèges et obligations que ceux de l'intérieur; donc de reconnaître la double nationalité. La nationalité haïtienne doit être reconnue à tous les Haïtiens, qu'ils soient ou non naturalisés étrangers. Il importe donc que des mesures soient prises par l'exécutif  en vue d'amender la Constitution de1987 à cet effet. Il s'agit de rendre justice à cette majorité d'Haïtiens qui, par leur engagement, leur militantisme, leur détermination, leur action et leur apport financier ont contribué au développement social et économique du pays.
 
Considérant que l'expérience, le savoir-faire et l'expertise de tous les fils et de toutes les filles d'Haïti doivent être mis à contribution dans la reconstruction et le développement du pays.
 
Considérant qu'il est dans l'intérêt du pays que la nationalité haïtienne soit reconnue à tous les Haïtiens :
 
L'article 11 de la Constitution de 1987 devra être ainsi amendé :
 
Article 11 : Est Haïtien, tout individu né d'un père ou d'une mère haïtienne, qui n'a pas renoncé à sa nationalité haïtienne.
 
La double nationalité est reconnue à tous les Haïtiens qui ont acquis une nationalité étrangère et qui veulent reprendre leur nationalité haïtienne en remplissant les conditions et obligations imposées par la loi.
 
Aujourd'hui, la double nationalité est reconnue dans plusieurs pays qui ont eu une large émigration. L'Irlande, l'Italie, le Mexique, le Brésil, l'Argentine, la Colombie,  le Pérou, le Panama,  la Jamaïque, la République Dominicaine, le Venezuela, la Bolivie, l'Angola, le Bénin, la Burundi, le Cap Vert, Burkina Faso, Rwanda, le Gabon, le Maroc etc. reconnaissent la double nationalité et économiquement, socialement, et culturellement bénéficient grandement de cette reconnaissance. La Grèce, la France, la Grande Bretagne, l'Australie, la Suisse, la Turquie, la Tunisie, l'Egypte,  adoptent également la loi sur la double nationalité.
 
En 2002, l'article 39 de la Constitution de 1967 bolivienne a été modifié afin de permettre aux Boliviens de l'étranger d'acquérir la nationalité de leur pays de résidence. « La nacionalidad boliviana no se pierde por adquirir nacionalidad extranjera. Quien adquiera nacionalidad boliviana no será obligado a renunciar a su nacionalidad de origen."
 
Résolution des Conflits 
Amender la Constitution avec les solutions du déséquilibre institutionnel et intégrer la notion de la double nationalité ; cette décision doit être trouvée dans la recherche d'un consensus populaire, une maturité de la classe politique haïtienne et une conscience nationale qui doit accepter l'idée que les intérêts personnels n'ont point de place dans le la reconstruction et le future de notre pays et que dans une démocratie tout se règle par le dialogue, le compromis, l'arbitrage et dans le respect du jeu démocratique. La politique à adopter est la suivante : « Puisse Haïti tirer profit de cette décision d'intégrer la diaspora dans la vie politique, économique et sociale pour une reconstruction d'Haïti par et pour tous les Haïtiens sans distinction de classe, de couleur, d'appartenance politique et religieuse.» Oui. Reconnaissons donc la double nationalité.
 
Pour épargner ces problèmes futurs, un organe à compétence juridictionnelle, le conseil constitutionnel doit être spécialement créé dans l'amendement de la Constitution. Ce conseil doit être chargé d'examiner si les actes du Parlement (c'est-à-dire les lois) sont conformes aux prescrits du texte constitutionnel. Ce conseil constitutionnel sera juge de la sincérité des élections présidentielles et législatives. Il jouira du pouvoir d'examen des litiges nés d'une consultation électorale. Ce conseil constitutionnel veillera sur l'Etat de droit en qualité d'organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics
 
Liste de certains binationaux célèbres:
    * Albert Einstein, scientifique, binational helvéto-américain.
    * Ingrid Betancourt, femme politique franco-colombienne (a obtenu la nationalité seychelloise).
    * Willy Brandt, ancien chancelier fédéral allemand, binational germano-suédois.
    * Beatrix, reine des Pays-Bas, binationale néerlando-britannique.
    * Stéphane Dion, ex-chef du parti libéral du canada, binational canado-français.
    * Le Corbusier, architecte, binational franco-suisse.
    * Arnold Schwarzenegger, acteur et homme politique, binational austro-américain.
    * Che Guevara, homme politique, binational, argentino-cubain.
    * Alberto Fujimori, binational japono-péruvien, ancien président du Pérou.
    * Alain Delon, acteur franco-suisse.
    * Hendrick Verwoerd, ancien premier ministre d'Afrique du Sud, binational néerlando-sud africain.

Conclusion
En ces heures difficiles, Haïti a besoin de tous ses enfants pour participer à sa reconstruction. Michaëlle Jean, Wyclef Jean, Garcelle Beauvais, Dumarsais Mecène Siméus, Lil Wayne, Luck Mervil, Pras Michel, Anthony Gavanagh, Patrick Gaspard, Ace Wood, Key James, Marie-Anna Murat, Teri Moïse etc. ; ils ont tous leur place dans ce défi national. Haïti a donné trop de valeurs à l'humanité, elle a trop de ressources intellectuelles à travers le monde, et une culture trop riche pour avoir la réputation  de  pays le plus  pauvre de la planète. Mon message : Haïtiens de partout, naturalisés ou pas, mettons en action notre fierté nationale et réunissons-nous encore une fois pour rebâtir ensemble les piliers de notre nation à partir d'une révolution de paix, de partage, de justice et d'égalité pour tous. Notre future est celle de nos enfants Haïtiens.

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