Témoignage sur les émeutes pro-Martelly.
Par Cyrus Sibert, New Canaan, Connecticut, USA. Radio Souvenir FM, 106.1 : souvenirfm@yahoo. fr Le Ré.Cit. (Réseau Citadelle) : www.reseaucitadelle.blogspot.com
«C'est une erreur de continuer à confier la gestion des crises à des irresponsables comme René Préval et à une oligarchie incapable de comprendre la réalité et de s'adapter au changement.»
Le hasard a voulu que les émeutes pro-Martelly nous tiennent prisonnier dans la capitale. En une semaine nous avons observé le mouvement, le comportement et la détermination des jeunes qui renforçaient les rangs au cri de « GRENADIER A L' ASSAUT / NOU PRAL FOUT YO YON LESON. » Ils étaient des milliers de jeunes qui traversaient la rue où nous étions pour aller renforcer la ligne de front. Un fait curieux, dans la foule, il y avait des amoureux, garçons et filles vêtus de Jeans, sacs à dos remplis de pierres ou de bouteilles, marchant main dans la main, chantant "Peyi a ap cho, li cho. Volè sa yo dwe respecte nou". Du haut d'où nous nous trouvions, nous nous demandions avec quel courage ces jeunes s'aventurent jusqu'au Champs de Mars loin de leur base? Pour un capois habitué à des mouvements de quartier, c'était impressionnant. Les émeutiers avaient un discours très politique: "Nèg sa yo volè vot nou", "Yo pap regle anyen pou nou, men yo bezwen pouvwa", "Tou tan se magouille ak vol", "Menm lajan pou viktim nan kan, nèg sa yo manje" "Nou pral fout yo on leson". Nous ne croyions pas nos yeux. La scène ressemblait tellement aux va-nu-pieds de la guerre de l'indépendance. Nous nous sommes sentis fiers de ces jeunes qui sont prêts à tout pour défendre leur avenir. Nous nous sommes dit que Toussaint avait raison "Les racines de la Liberté" existent dans ce pays. Et cette dernière vague est décidée. La nuit tombée, ils renforçaient les barricades pour mieux se protéger. Nous avions entendu l'un d'eux commenter : Mon cher, on fait tout ça pour mettre Micky au pouvoir, s'il nous trahit? La réponse fut immédiate: C'est nous qui avons proclamé Préval. Aujourd'hui, on est contre lui. Toutefois," Si Micky nous trahit, nap fout boule peyi a. Fok bagay sa fini. Zafè nèg ap pran pouvwa epi bliye pèp la. Nap anpeche yo viv nan peyi sa tou. Quelques minutes plus tard, sur le petit écran, un jeune de La Saline criait: Aristide pa la nou pran Micky. Se nou ki guen dwa chwazi se pa Préval ak CEP. Fok peyi'm lan chanje tou. Konye a nou deside fè yo mache jan yo vle a. Nap fout boule peyi a, si yo pa respekte pèp la. Cela a renforcé notre conviction qu'il y a dans ce pays un vent de changement. Les jeunes sont devenus pragmatiques, ils veulent le changement et un avenir meilleur. Ils ne vont pas accepter le statu quo. La musique haïtienne « compas, racine et Rap Kreyol » porte des revendications qu'on peut facilement découvrir dans les textes. Nos jeunes sont devenus des révoltés. Ils sont très violents. Immunisés par la misère, le tremblement de terre et le choléra, ils sont prêts à accepter la mort pour défendre leur revendication. Un camarade tombé n'effraie personne. Malgré les infos faisant état de fusillade au Champs de Mars, ils continuaient à renforcer le front à la recherche du respect. C'est cette réalité que les gouvernants trop occupés à compter leur argent ne comprennent pas. Ce n'est pas la personne de Michel Martelly qui compte pour les émeutiers. Ils étaient derrière Wyclef Jean, demain ils supporteront peut-être un autre leader, mais toujours dans le même objectif: fok peyi'm lan chanje tou. Et quand sur le web, nous lisons de textes d'intellectuels qui s'amusent à critiquer Martelly rappelant son comportement immoral de Ti Simone, nous nous disons, nous allons revivre la même expérience du début des années 90 quand Aristide et le mouvement Lavalas symbolisaient le changement aux yeux des jeunes. A savoir, une élite arrogante qui, refusant de satisfaire les revendications du peuple, se contente de critiquer son leader conjoncturel aux risques de provoquer des tensions sociales et des déchirures irréparables. Au Cap-Haïtien, nous avions vécu la même situation lors des émeutes de la semaine de 18 novembre 2010. Les jeunes faisaient de l'impossibilité des représentants de l'État d'aller à Vertières pour commémorer la dernière bataille de la guerre de l'indépendance, un point d'Honneur. Ils étaient prêts à mourir pour garder la ville bloquée avant le 19 novembre. Il y a un mouvement contestataire dans ce pays. Si l'Eglise en majorité prêche la résignation, la musique haïtienne a fait l'effet contraire. Elle prêche l'engagement. Après le communiqué du CEP en faveur du recomptage des procès-verbaux, nos voisins émeutiers ont décidé de lever les barricades. Nous avons entendu l'un deux commenter en ces termes: « volè yo di yo pral korije erè yo a. 20 desanm se dat pou yo piblye dènye rezilta yo. Nap ba yo yon Break. Men si yo kite nou soti anko, nap fout boule tout bagay pou nou montre yo nou pap jwe. Ce mouvement social est le résultat de la mauvaise gouvernance. Des jeunes sans alternative sont prêts à aller jusqu'au bout dans leur recherche d'un avenir meilleur. Ils agissent parfois en dehors des principes relatifs au respect de la presse, des ambulances, des malades, des blessés, des cadavres et même des passants inoffensifs. Ils adoptent parfois un comportement suicidaire inquiétant. Haïti vit une situation explosive qui requiert savoir-faire, responsabilité et prudence. C'est une erreur de continuer à confier la gestion des crises à des irresponsables comme René Préval et à une oligarchie incapable de comprendre la réalité et de s'adapter au changement.
RÉSEAU CITADELLE (Ré.Cit.), le 20 Décembre 2010, 12 heures 12. ____________________ |
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