mardi 15 février 2011

Signal FM le 7 février 2011 Entretien de Jean-Claude Duvalier.

Signal FM le 7 février 2011

Entretien de Jean-Claude Duvalier

 

Q.- Quelles sont les circonstances ayant entouré votre départ du pouvoir le 7 février 1986 ?

 

R.- Si vous aviez la chance de lire ou d'écouter mon dernier message du 7 févriek 1986, vous auriez une idée très claire de ces circonstances.

En politique, il faut savoir se retirer à temps ; et pour moi qui ai vécu quinze ans sans tumulte aucun avec le peuple haïtien, le fait d'un soulèvement populaire dans deux ou trois villes de Province,  dirigé contre mon gouvernement, me paraissait suffisant pour  partir et, après maintes réflexions, j'ai décidé de partir, à la stupéfaction  de mes collaborateurs, de mes partisans, des membres de ma famille et même de l'opposition, pour ne pas ralentir  les efforts de développement qui étaient en cours.  Croyez-moi, ma mère ne l'a su qu'au soir du 6 février.

Menm Manmanm ce nan nwit 6 fevrye a li konnen nou prale

 

Q.- Avez-vous été contraint de quitter le pays ?

 

R.- Je crois avoir déjà répondu à cette question. C'est non.  Maintenant, si vous voulez me demander si j'avais les moyens de garder le pouvoir, en 1986, bien sûr que oui. Rappelez-vous que j'étais Chef Suprême et Effectif des Forces Armées et des Volontaires de la Sécurité Nationale. Si j'étais le dictateur que l'on prétend, je n'aurais eu qu'un seul mot à dire pour rétablir l'ordre. Je n'ai rien fait de tel. Souvenez-vous que deux écoliers sont tombés aux Gonaïves et un autre jeune  au Cap-Haitien.  Pour moi, c'était déjà trop.  Je salue respectueusement la mémoire de ces jeunes gens tombés trop tôt.  L'un d'eux, aux Gonaïves,  était le fils d'un brave VSN et celui du Cap-Haitien, était un proche parent d'un officier de la Garde Présidentielle attaché à ma sécurité  personnelle.  Machination ou pas,  je vous laisse le soin d'en juger. De toute façon, parmi les nombreuses options ouvertes devant moi, j'ai préféré  laisser le pouvoir à un conseil civilo-militaire que j'ai  constitué  afin de hâter un règlement pacifique de  la crise.

 

Q.-Quel rôle l'international a-t-il joué dans votre départ ?

 

R.- Aucun. Sans doute vous posez cette question dans un contexte post-duvaliériste.  Nous avons traité différemment avec l'international.

Epòk mwen tap Gouvène peyi-a relasyon-m te genyen ak entènasyonal la se pa menm relasyon ki egziste jodi a

 

Quand j'ai décidé vraiment de partir,  j'ai invité Jeudi 6 février, vers sept  heures du soir, respectivement l'Ambassadeur de France et celui des Etats-Unis, à me rejoindre au Palais National et là, je leur ai fait part de ma décision de démissionner. J'ai sollicité de l'Ambassadeur américain,  de me faire trouver, si possible, un moyen de transport. Un avion militaire m'a été gracieusement envoyé. 

 

Q.- Certains reproches sont adressées au régime de Duvalier, notamment le bâillonnement de la presse, la restriction des libertés individuelles et d'associations, la corruption,  les tortures et assassinats politiques.  Prenons un à un ces reproches.-

 

R.- Je préfère répondre globalement à cette question.

 

Rétrospectivement, le plus grand reproche que l'on puisse adresser à mon gouvernement c'est de n'avoir pas organisé des simulacres d'élections présidentielles tous les quatre ans, cinq ans ou six ans. J'avais une vision plus sérieuse de la démocratie. Et je voulais ramener tout mon entourage à cette vision sérieuse, dans un esprit de consensus.  Malheureusement, les choses politiques prennent du temps en Haïti…

 

En matière de démocratie, si votre modèle est la France ou les Etats-Unis par exemple,  tous les reproches vous sont permis.  Si, au contraire, vous prenez  d'autres exemples comme le modèle cubain très populaire en Haiti, je souhaiterais que l'on m'explique sincèrement  en quoi ce pays ami est-il une démocratie par rapport à mon gouvernement  qui, progressivement, s'ouvrait à l'opposition au point qu'un bon nombre de mes opposants  sont devenus ministres, ambassadeurs ou ont été recrutés comme techniciens dans mon gouvernement… 

 

A entendre les complaintes  de mes adversaires, je me suis demandé si la seule façon de  passer à leurs yeux pour  un vrai démocrate n'était pas, en fin de compte, de me laisser abattre ou de leur laisser  le pouvoir…Et jusque là, ils en ont fait quoi ?

 

Ki sa yo fè avec pouvwa sa-a

 

On semble dénier à mon gouvernement même le droit d'avoir maintenu la paix des rues et d'avoir pourchassé des poseurs de bombes ou des dealers de drogue !

 

Je sais qu'il y a eu des dérives ;  encore une fois je les regrette amèrement !  Je rappellerai que toutes les fois que des cas d'abus documentés  m'ont été rapportés, j'ai ordonné des sanctions sans fanfare. J'espère que les archives de l'armée et de la police pourront en témoigner. 

 

Saviez-vous que, sous mon gouvernement,  le Révérend Sylvio Claude a été arrêté puis jugé et condamné par un tribunal criminel à neuf ans de prison ? Mais savez-vous aussi qu'il gagna  devant la Cour de cassation,  fut mis hors de cause et mis en liberté ?  Ces juges qui ont agi en toute indépendance n'ont pas été persécutés ni révoqués par mon gouvernement. Je salue le courage de ce martyr de la liberté !  Je ne peux pas vous dire aujourd'hui à quel point  j'étais dévasté à la vue des images atroces de son assassinat à Quatre-chemins, aux Cayes, en septembre 1991. Personne ne parle de ce crime odieux ! Avez-vous un bilan des journalistes, des militants politiques, des syndicalistes  brutalement exécutés sous le règne de ces régimes  démocratiques qui m'ont succédé ?

 

Voyez-vous ? C'est tout un débat.  C'est un peu la même chose quand vous parlez de corruption.   L'histoire finira par rétablir la vérité et dressera le vrai bilan-surtout social et économique- de ce que l'on a pu réaliser à partir des maigres ressources dont on a pu disposer.  Nous n'avions pas eu la chance de ces généreux milliards malheureusement...

 

Q.- Comment avez-vous vécu l'exil ?

 

R.- Mwen te fizikman an France  men tout nanm mwen tout lespri-m te toujou an Ayiti

 

Au rythme de mon pays ! J'étais placé à un centre d'observation pour constater les progrès réalisés dans certains pays d'Afrique,  d'Asie et  d'Amérique du Sud, au cours de ces vingt-cinq dernières années et vivre parallèlement et douloureusement  la désintégration d'Haïti à tous les niveaux au cours de cette même période. Même l'espoir s'est évanoui. La jeunesse n'a plus de référence morale et est abandonnée à elle seule sans boussole.

 

Q.- Quelle sensation ça vous fait d'être à nouveau en Haïti ?

 

R.- Nou te viv moman sa-a menm jan avèm e nou tout konstate akèy chalere ke jenès la te banm

 

Vous l'avez vécu avec moi pour un voyage qui n'était ni programmé ni annoncé.  Vous avez vécu l'enthousiasme de cette jeunesse à l'Aéroport International. Vous avez vu l'enthousiasme des employés des services publics, leur accueil, leur réception ! Mais, de l'Aéroport vers mon hôtel, j'ai été plongé dans une profonde désolation par ce que j'ai pu observer. Il est donc grand temps que tout le monde, dans un grand konbit, enfin, travaille à la renaissance de ce pays et à la promotion de la jeunesse. J'entrevois cette possibilité où tous les anciens chefs d'Etat pourraient former un grand conseil dans le but de promouvoir à la réconciliation nationale et  au relèvement d'Haiti.

 

 

 

Q.- Quelle est votre lecture de la situation socio-politique actuelle ?

 

R.- J'observe.  Le pire qui pourrait arriver à ce peuple c'est qu'il devait continuer encore à vivre dans ces conditions infrahumaines,  en dépit de ces milliards de dollars d'aide !  Quelqu'un devrait avoir quelque part mauvaise conscience ! Nous devrions avoir mauvaise conscience en tant qu'élites dirigeantes!

 

Jenès peyi d'Ayiti a ce pou nou mete tet nou ansanm ak Union Fait la Force la pou nou rekonstwi peyi a

Kenbe fèm pa lage mwen avèk nou

 

A byento

 



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