Au-delà du Nationalisme, la campagne anti-haïtienne de l'extrême droite dominicaine est Anti-Indigène.
1- D'entrée de jeu, il faut signaler que les indigènes de l'Ile Kiskeya (Hispaniola) ont été quasiment exterminés par des espagnols. Le crime crapuleux de Nicolas Ovando qui brûla vifs quarante (40) chefs indigènes, pendît la Reine Anacaona et le massacre de la Vega Real sont des faits saillants dans cette démarche.
2- La première guérilla de l'Ile est celle du Cacique Henry (Enriquillo) dans les montagnes de la chaine de Bahoruco, partie orientale de l'Ile d'Ayiti, Kiskeya ou Bohio -- aujourd'hui République Dominicaine. Après 14 ans de lutte armée contre les forces esclavagistes espagnoles, le Roi d'Espagne, Charles V, proposa un traité qui fut signé en 1533 avec le cacique Henry. Ce pacte de non-agression mit fin aux hostilités entre les indiens et les espagnols. Les termes de ce traité incluaient notamment l'autorisation pour le Cacique Henry de résider dans le village de Boya et de garder ce espace sous commandement Indien. Faut-il signaler que Henry était le neveu de la Reine Anacaona du Xaragua, très vénérée dans la partie occidentale de l'Ile, aujourd'hui Sud d'Haiti.
3- En réponse à l'extermination des indiens, à partir de 1502, des noirs furent importés d'Afrique pour fournir une main d'œuvre servile. Cette activité est connue sous le nom de "Traites négrières", "Traite des nègres" ou "Traite des Noirs".
4- Bien avant l'arrivée des français, les espagnols furent les pionniers de la pratique d'importation des noirs sur l'Ile Kiskeya, rebaptisée par les colons, Hispaniola (Petite Espagne). Par la suite, les français, une fois en possession de la partie occidentale de l'Ile, renouèrent avec la tradition d'importation des noirs Africains, qui ultérieurement renforçaient l'initiative militaire du Cacique Henry et constituèrent une vraie Armée anti-esclavagiste capable d'affronter les forces coloniales sur tous les terrains et avec des techniques de combat adaptées.
5- Arrivés à Saint-Domingue, les Africains formèrent, avec les Indiens et les Noirs hispanophones qui étaient au service des Espagnols depuis des lustres, une communauté Indigène opprimée par les puissances esclavagistes européennes. De cette communauté est née une solidarité entre les groupes opprimés. Des esclaves de la partie Ouest de l'Ile, par moments, se réfugièrent dans les montagnes du Cibao ou du Bahoruco, où ils rencontrèrent d'autres noirs et des indiens, d'autres opprimés en quête de Liberté.
L'histoire rapporte que des esclaves noirs de la partie Est de l'Ile suivirent l'exemple de Cacique Henry en se révoltant, notamment sur la plantation de Diego Colomb, Gouverneur de l'Ile, en mettant le feu aux exploitations agricoles et en tuant des Espagnols sur leur passage.
" En 1522, l'île connait sa première révolte d'esclaves, lorsque ces derniers travaillant dans une plantation de canne à sucre se soulevèrent contre le gouverneur don Diego Colon. De nombreux insurgés parvinrent à s'échapper et ils trouvèrent refuge dans les montagnes où ils formèrent des communautés marrons indépendantes. Celles-ci feront souche avec les Indiens et donneront naissance à une population métissée, les Zambos dont on retrouve encore des traces dans la population dominicaine actuelle." Wikipedia.
6- Dans d'autres Iles caribéennes, l'Angleterre pratiqua des politiques esclavagistes similaires. D'ailleurs, plusieurs des indigènes anglophones contribuèrent au mouvement anti-esclavagiste qui prit naissance dans la partie Ouest de l'Ile d'Hispaniola. De façon singulière, Boukman (de la Jamaïque) et Christophe (de la Grenade) marquèrent l'histoire de ce mouvement de libération des indigènes qui prévalu sur l'Ile d'Hispaniola.
7- Il en ressort que l'Armée de Toussaint, de Dessalines et de Christophe fut appelée ARMÉE INDIGÈNE ou l'ARMÉE des INCAS. Il ne s'agissait nullement de l'Armée des noirs. Par contre, celle des Indigènes ou des Incas. Il est à supposer que, le mot INCAS, d'origine indienne symbolisa l'union des Noirs et des survivants indiens (indigènes).
De plus, AYITI ou HAITI, mot Indien, désigne "une terre haute ou terre montagneuse." HAÏTI exprime une unité « de vision et de lutte » entre Noirs et Indiens. Dans la foulée de la bataille de Vertières, les généraux avaient choisi un nom Indien pour nouvel Etat indépendant, au lieu d'un nom Africain. Ce qui laisse entrevoir la profondeur des alliances inter-indigènes sous-jacents le mouvement anti-esclavagiste et anti-colonialiste. Un geste colossal prouvant la grandeur d'âme des Généraux noirs qui s'accrochèrent à la mémoire des Indiens.
8- Au service des Espagnols, l'Armée de Toussaint Louverture ou l'Armée indigène opéra aisément dans la partie Est de l'Ile. Elle, s'y approvisionna, s'y réfugia stratégiquement. La partie orientale de l'Ile constitua une base arrière pour l'Armée indigène, anti-esclavagiste, en quête de la libération générale des esclaves.
9- Après l'affranchissement général décidé par la France, l'Armée décida de rejoindre le camp Français. Il en résulte que (a) Toussaint arriva à se proclamer Gouverneur Général de Saint-Domingue et ; (b) Toussaint gouverna l'Ile entière.
Ainsi, le mouvement des indigènes a pris de l'ampleur et sa domination s'étala sur toute l'Ile Ayiti, Kiskeya ou Bohio, du Canal du vent au Canal de la Mona.
10- Parallèlement au mouvement des Indigènes, se trouva celui des colons et/ou des colonialistes. Les forces esclavagistes et/ou colonialistes de l'Europe s'efforcèrent à étouffer le mouvement des Indigènes qui voulut tout chambarder.
Il parait que, l'extrême droite dominicaine peut être considérée ou bien comme une résurgence de cette forme de résistance colonialiste ou bien son stigmate.
Il ne s'agit pas d'un évènement fortuit et isolé de voir le mouvement extrémiste dominicain prôné l'anti-haïtianisme comme forme de gouvernance publique. Car, les Noirs de Kiskeya (Hispaniola), vainqueurs des forces esclavagistes européennes, vinrent en majorité de la partie Ouest de l'Ile, d'Haïti. Ce sont eux qui lavèrent l'affront fait aux Indigènes, en général, et en particulier, le sang des Indiens massacrés à Vega Real, dans le Cibao. Ce sont eux qui détruisirent les infrastructures militaires esclavagistes de l'Ile.
Après avoir constitué un Etat indépendant dans la partie occidentale, ils s'attaquèrent, avec vigueur, aux forces espagnoles subsistantes dans la partie orientale. Sur l'invitation des indigènes dominicains, créoles et mulâtres qui se méfiaient de l'indépendance prônée par les libéraux de la classe moyenne urbaine "Espagnoliste" par crainte du rétablissement de l'esclavage, la République d'Haiti occupa la partie Est de l'Ile durant un quart de siècle. Cette présence militaire facilita l'émergence du mouvement indépendantiste dominicain. L'histoire rapporte que "Cette période permet également la fin de l'esclavage dans la partie orientale de l'île" Wikipedia
En conclusion, l'occupation haïtienne du territoire Dominicain mettait fin à l'esclavage dans la partie Est de l'Ile. Une réalité défavorable aux colonialistes et/ou Espagnolistes qui nous reprochent encore d'avoir occupé le territoire dominicain.
11- Les pères fondateurs d'Haïti exprimèrent un sentiment de gratitude et de devoir vis-à-vis de la partie Est de l'Ile. Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe et Boyer y jetèrent tous un regard favorable. Contrairement, aux idées de l'extrême droite dominicaine, il ne s'agissait pas pour Haiti de contrôler l'Est, mais plutôt d'une obsession anticolonialiste qui commanda la libération intégrale de l'Ile des forces esclavagistes.
Du point de vue des Généraux haïtiens, la pérennisation de la liberté générale des Indigènes d'Hispaniola obligea des interventions à l'Est en vue de détruire les infrastructures militaires des puissances coloniales européennes et d'extirper ce crime odieux qu'était l'esclavage.
D'ailleurs, le Général français Jean-Louis Ferrand qui faisait partie de la force expéditionnaire du Général Leclerc s'y était réfugié avec 2000 soldats et y avait établi une colonie de plantation de 10,000 esclaves jusqu'en 1809.
Après, trois (3) conquêtes de l'Armée indigène conduite par Toussaint, Dessalines et Boyer, la Partie Est de l'Ile est devenue indépendante. La République Dominicaine a vu le jour à la faveur des efforts militaires d'Haïti. Les idéaux d'Haïti débouchèrent sur une tendance cohérente de l'histoire universelle des peuples. Nombreux sont ceux des Amériques qui en sont reconnaissants. Les sacrifices de la première République Noire favorisèrent le rêve des indépendantistes dominicains contre certains de leurs congénères qui privilégièrent le retour de la tutelle espagnole.
Aussi, en 1808, au coté des indigènes de l'Est, communément appelés créoles, les haïtiens avaient participé à la "Reconquista" qui visait à déloger les forces françaises qui y étaient stationnées.
Les haïtiens ont encore contribué en 1863 au succès de la "Guerre de Restauration":
" Le 16 août 1863, un groupe dirigé par Gregorio Luperon et Santiago Rodriguez fit une incursion audacieuse en territoire dominicain, à partir d'Haïti. Le groupe de rebelles hissa le drapeau dominicains au Cerro de Capotillo, une colline située dans la province de Dajabon, à la frontière haïtienne. Cette expédition, connue sous le nom de grito de Capotillo, fut le début de la guerre. La Guerre de Restauration est une guerre qui a eu lieu en République Dominicaine entre 1863 et 1865, et qui a opposé les indépendantistes dominicains à l'Espagne, qui avait recolonisé le pays 17 ans après son indépendance. La guerre s'est conclue par la victoire des Dominicains et le retrait définitif du Royaume d'Espagne." Wikipedia
12- Rien ne prouve que le peuple haïtien aspire à se fusionner au peuple dominicain. Sur le plan culturel, racial, ethnique et linguistique les deux peuples aiment leur originalité. L'haïtien est autonome, fier de sa pigmentation, et de son origine et de ses traditions africaines. Après 20 ans d'occupation américaine, les haïtiens ne jouent pas au baseball. Même dans les villes frontalières, exposées à la culture dominicaine, la population haïtienne conserve sa pigmentation, son créole et sa culture africaine. Cette menace d'haitianisation, d'invasion ou de fusion clamée à cor et à cri par l'extrême droite dominicaine est un prétexte pour diviser les deux (2) peuples dans une logique néocolonialiste.
13- Le mouvement anti-indigéniste subsiste en République voisine. Il n'a jamais supporté l'indépendance de la République Dominicaine, mais optait pour le retour des Espagnols qui, impuissants face aux forces haïtiennes de libération, se virent obligés à se réfugier, comme les français, à Porto-Rico ou à Cuba avant de regagner d'autres colonies plus sûres.
Le mouvement d'extrême droite dominicaine est, de par sa nature, "Espagnoliste", anti-dominicain et, sa propagande anti-haïtienne peut, dans une certaine mesure, constituer une stratégie de replacer la République voisine sous la tutelle de l'Espagne afin de concrétiser son obsession européenne.
En 1861, le Général Pedro Santana avait profité de son mandat Présidentiel pour rattacher la République Dominicaine à l'Espagne, prétextant des pressions d'Haiti sur les frontières de son pays. La République d'Haiti a toujours servi de bouc émissaire pour justifier les actes colonialistes et espagnolistes de ses dirigeants.
Les préoccupations d'Haiti, en 1821, était fondée. Le retour de l'Espagne en 1861 dans la partie Est de l'Ile est une preuve qu'il existait en République Dominicaine des forces néocolonialistes, esclavagistes qui représentaient une menace pour la liberté et son indépendance. A leur retour en 1861, les espagnoles contestaient déjà les frontières haïtiennes, réclamaient de terre et menaçaient de déporter les noirs et les créoles vers Porto-Rico ou Cuba.
14- Force est de constater qu'aujourd'hui, ces Espagnolistes mènent une campagne anti-haïtienne, anti-indigéniste afin de faire passer tous les noirs de Saint-Domingue pour des haïtiens. Après, ils auront à contester la nationalité de tous les dominicains qui ont la peau foncée. Ce sont ces mêmes idéologues du mouvement anti-indigéne qui organisèrent le massacre des haïtiens, en 1937. Leur campagne, aujourd'hui, s'inscrit dans une suite logique raciste, xénophobe, anti-indigène. Les noirs d'Argentine ont vécu une situation similaire de politique publique anti-raciale.
Ces idéologues utilisent des problèmes réels d'immigration, de banditisme transnational et de criminalité transfrontalière pour inciter à la haine contre tout un peuple. Ils veulent réécrire l'histoire en effaçant cette solidarité mutuelle entre les peuples indigènes de l'ile Kiskeya (Hispaniola) dans leur combat perpétuel contre les forces colonialistes, l'entraide face aux intempéries et aux catastrophes naturelles.
Vive une nouvelle mobilisation des indigènes de l'Ile Ayiti, Kiskeya ou Bohio;
Vive la solidarité transnationale Haitiano-Dominicaine;
S'il existe sur notre Ile deux (2) Républiques Indépendantes, nous formons ensemble une seule population indigène, liée par notre histoire d'opprimés en lutte pour la liberté, la justice et le développement durable.
L'Armée indigène du Cacique Henry (Enriquillo), de Toussaint Louverture, de Dessalines, de Christophe et de Pétion fut un héritage commun qui nous a permis de marquer la "fin de l'histoire" esclavagiste basée sur la supériorité raciale.
Cyrus Sibert, Cap-Haitien, Haiti
@reseaucitadelle
10 mars 2015