Rivalité franco-américaine autour de la reconstruction
LE MATIN
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Malgré les discours affirmant le contraire, Washington envisagerait de mettre sous tutelle le pays ravagé par le séisme du 12 janvier. Une idée qui séduit certains Haïtiens, mais qui ne convient pas à la France. Nicolas Sarkozy a lui-même apporté son plan de reconstruction.
18.02.2010 | Jacques Desrosiers, Daly Valet | Le Matin
Le journal américain El Nuevo Herald a rapporté dans son édition du 11 février que l'équipe de Barack Obama a discrètement concocté un plan de reconstruction d'Haïti. Conçu par le département d'Etat, ce plan aurait été présenté au président René Préval lors de la dernière visite en Haïti de l'ancien président américain Bill Clinton, il y a environ deux semaines. El Nuevo Herald a également rapporté qu'au cours de cette visite, Clinton était accompagné d'un haut cadre du département d'Etat, Cheryl Mills. Le plan soumis au président René Préval prévoirait la création d'une structure chargée de superviser les aides d'urgence et une reprise rapide dans les dix-huit prochains mois. Elle aura également pour mission la mise en place d'une autorité haïtienne de développement pour planifier et coordonner l'aide internationale au cours des dix prochaines années.
A environ un mois de la réunion – en mars – des bailleurs de fonds de New-York pour la reconstruction d'Haïti à l'initiative des Etats-Unis, ces informations raniment les débats sur la mise sous tutelle d'Haïti par les Etats-Unis. Elles sont en outre en contradiction avec ce qui se dit officiellement côté haïtien et côté américain. Coordinateur des secours des Etats-Unis en Haïti, Lewis Lucke a, début février, apporté des précisions sur la mission de son pays qui "est totalement humanitaire, qu'il s'agisse de sa composante militaire ou de sa dimension civile". Il a aussi expliqué qu'il revenait au gouvernement haïtien de définir le plan de reconstruction, lequel "sera soutenu par les Américains".
Malgré tout ce qui se dit, la population tant en Haïti que dans la diaspora haïtienne aux Etats-Unis, particulièrement en Floride, voit les choses autrement. Là-bas, des médias haïtiens ont même organisé des sondages relatifs à une mise sous tutelle d'Haïti par les Etats-Unis. Les résultats sont favorables entre 60 % à 80 %. Cette diaspora n'hésite pas à prendre position en faveur d'une tutelle américaine en Haïti.
Dans le sud d'Haïti, un pasteur protestant très écouté et harangueur de foules, a récemment mis en circulation une pétition appelant l'Oncle Sam à placer Haïti sous son protectorat permanent. La pétition a déjà recueilli plusieurs centaines de signatures. Les élites politiques et économiques haïtiennes, à de rares exceptions, semblent être prêtes à s'accommoder également d'une tutelle renforcée et effective du géant nord-américain sur la république caribéenne. La perception de la corruption qui pèse sur les dirigeants haïtiens, l'incapacité remarquable de l'équipe en place dans la gestion de l'après-séisme, sont au nombre des facteurs expliquant leur position. Certains ont avancé la question de proximité géographique d'Haïti avec les Etats-Unis.
Dans une lettre datée du 9 février 2010, Dumas Simeus, un Haïtien-Américain résidant aux Etats-Unis, multimillionnaire et ex-candidat à l'élection présidentielle de 2006, a ouvertement demandé au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, de placer Haïti sous tutelle onusienne pour au moins vingt ans.
Il faut dire qu'en dépit des apparences, la compétition bat son plein entre Américains, Européens et hauts cadres onusiens à Port-au-Prince en termes de visibilité et d'influence, et sur le leadership international qui pilotera la reconstruction. Si, en privé, les discussions vont bon train sur l'éventualité d'une tutelle américaine ou onusienne déclarée, il n'y a pas encore vraiment en Haïti de grands débats publics sur la question.
Entre-temps, les va-et-vient des chefs d'Etat et de gouvernement se poursuivent. Le 15 février, Haïti a reçu la visite du Premier ministre canadien, Stephen Harper. Cette visite a été suivie par celle de Nicolas Sarkozy, le 17 février. Le président français, a-t-on appris, avait dans ses valises son propre plan de reconstruction d'Haïti qu'il devait soumettre aux officiels haïtiens. Il y a donc le plan Sarkozy et le plan Obama. Le séisme du 12 janvier semble avoir emporté tout ce qui restait de souveraineté à ce pays dévasté. Haïti avait, par le passé, fait souvent les frais des luttes d'influence entre les puissances occidentales, et de leurs visées hégémoniques dans les Amériques. Dans le malheur, la même dynamique continue. Pour le meilleur ou le pire.
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