Les élections sont-elles capables de résoudre les crises politiques en Haïti? Montréal le 3 août 2011 Par Gesler Jean-Gilles Dans les pays démocratiques la prise du pouvoir se fait uniquement aux moyens d'élections. Lors qu'une crise politique persiste au point de bloquer le fonctionnement de l'État, seul le recours aux urnes est en mesure de la résoudre et de normaliser le processus démocratique. Quand les positions sont trop rigides et qu'aucun parti ne se décide à faire le premier pas vers le compromis salutaire, le peuple peut en décider à travers son bulletin de vote. Dans les régimes semi présidentiels, comme la France, le président, jouissant de son droit de dissolution, peut mettre fin aux travaux de la législature à tout moment et appelle à de nouvelles élections. En Israël qui est par exemple sous l'emprise d'un régime de type parlementaire, le Premier ministre, devant la persistance du blocage, présente la démission de son gouvernement et fixe lui-même la date des prochaines élections. Les opinions publiques nationales, imbues de leur rôle dans la construction de la démocratie, conscientes de l'impact du blocage politique sur les conditions de vie de la société, se jettent dans la bataille pour orienter le choix de l'électorat en faveur du Parti qui leur semblera à même de de défendre les intérêts supérieurs de la nation. En dehors de la voie électorale, il n'y pas d'autres moyens de concilier des parties dont les positions sont diamétralement opposées. L'électorat peut aussi bien reconduire le gouvernement sortant en lui renouvelant sa confiance en vue de la poursuite des réformes; ou dans l'autre cas de figure confier le pouvoir à l'opposition sur la foi des promesses de mieux faire. En Haïti, depuis la chute de la dictature duvaliériste, le pays est plongé dans une instabilité politique chronique qui a occasionné deux interventions militaires étrangères ayant entamé sérieusement sa souveraineté. Toutes les élections qui ont eu lieu à partir de novembre 1987 n'ont pas su créer le cadre politique propice à la normalisation des institutions nationales et de la vie politique. Ces élections semblent même constituer la bougie d'allumage de ces crises à répétition. Quand elles ne sont pas noyées dans le sang (massacre des électeurs de la ruelle Vaillant, novembre 1987); elles se sont déroulées dans une atmosphère de fraude massive (bourrage d'urnes), de corruption qui entache la légitimité du vainqueur. Le personnel politique issu de ces élections est contesté au départ, n'a pas de légitimité parce qu'il ne représente pas le choix de l'électorat. Les élections ne permettent pas d'apprécier le poids réel d'un groupement sur l'échiquier politique. La malice populaire les désignera sous le nom de président ou parlementaires contestés. Cependant, ces dirigeants contestés se gaussent bien de ces bonnes âmes qui crient à la manipulation et à la fraude parce qu'ils peuvent compter sur une reconnaissance de la communauté internationale; c'est-à-dire ces 4 ou 5 ambassades les plus influentes qui interviennent quand bon leur semble dans les affaires intérieures d'Haïti. En 2006, cette communauté internationale, qui finance d'ailleurs les élections, n'avait pas trouvé anormal que le conseil électoral proclame René Préval vainqueur dès le premier tour avec un score de 48,15% des voix. Elle s'était empressée de reconnaître la victoire du candidat qui n'avait pas obtenu la majorité de 50% + 1 et que la loi électorale avait contraint à un second tour en compagnie du candidat Leslie Manigat. Nos amis de la communauté internationale sont sans doute de grands démocrates, mais seulement à l'intérieur de leurs frontières. Il faut se rappeler que le président sortant Lula du Brésil était confronté à la même situation que René Préval. Il avait obtenu au premier tour un score très proche de la majorité absolue, 49,40%. Mais dans le strict respect des lois du Brésil et pour ne pas choquer l'opinion publique, il était soumis à un deuxième tour, conformément à la loi électorale du pays. Pour se perpétuer au pouvoir, ces régimes, militaire ou civil, via le concours d'un appareil électoral stipendié, organisent des législatives sur mesure (1988, 1997, 2000, 2009) dont les résultats loin de calmer les esprits les a plutôt exacerbés. La seule fois que des élections paraissaient acceptables aux yeux de la nation, c'était en décembre 1990, mais les perdants s'étaient très vite révélés de très mauvais perdants en se constituant dès l'entame du nouveau mandat une sorte de minorité de blocage. Tout ce que le pays comptait d'éléments rétrogrades, antidémocratique et de forces de la corruption, ayant profité des maladresses et erreurs du président, s'étaient ligués pour réaliser sept mois plus tard, le 30 septembre 1991, le coup d'état le plus sanglant de son histoire, et plonger le pays dans une crise profonde que ne résoudra pas le retour triomphal du président Aristide dans les fourgons de l'armée américaine, en octobre 1994. Haïti, singulier petit pays, avait écrit Edmond Paul, homme politique et penseur du XIXe siècle. Son contemporain, Louis-Joseph janvier parlait d'un pays tête en bas. Façon de dire que nous ne faisons pas les choses comme tout le monde en Amérique. Cette singularité semble être un passeport pour l'absurde, le grotesque et l'ubuesque. Les élections générales de 2011 viennent relever encore une fois le côté ténébreux des politiciens haïtiens. Le président Préval et son parti Inité, devaient être sévèrement sanctionnés par les électeurs pour le bilan nettement négatif de son régime : mauvaise gestion de la catastrophe du 12 janvier 2010, situation économique désastreuse qui plonge la majorité de la population dans le désarroi, les conditions sanitaires qui tuent par milliers, l'insalubrité des villes, la dégradation de l'environnement, la mauvaise qualité de l'enseignement qui ne répond plus aux besoins de la société, la corruption généralisée dans l'administration publique et privée, et tant d'autres éléments qui consacrent la faillite de ce groupe au pouvoir. Dans tout autre pays ce parti serait rayé de la carte électorale. C'est l'inverse qui s'est produit. Le candidat du pouvoir aux présidentielles, Jude Célestin, a failli gagner si la rue ne s'était pas manifestée avec vigueur pour forcer le Conseil électoral à respecter ses votes. Le parti Inité, avait pu entre temps, dès le premier tour des législatives, se fabriquer par toutes sortes de moyens peu démocratiques ou carrément anti-démocratiques une majorité pour imposer un premier ministre au président de la république, en violation de l'article 157 de la constitution. Ce parti se comporte manifestement comme ayant gagné les élections et qu'il lui revenait de droit de former le gouvernement. Le désir de garder le pouvoir pour continuer à jouir des privilèges qu'il procure, conjugué à la soif de vengeance du secteur lavalas pour la perte du pouvoir en 2004, constituent la cause principale de la crise actuelle. Ce faisant ce secteur politique, en rejetant le choix de Bernard Gousse comme Premier ministre, a non seulement infligé un second revers au président Martelly , mais encore il indique que plus rien ne bougera s'il n'y trouve pas son compte. La vie politique haïtienne est un condensé d'événements déplorables qui ont eu des répercussions directes sur les conditions de vie des Haïtiens et sur le fonctionnement des institutions. Ce cycle infernal se résume ainsi : des élections frauduleuses qui seront suivies de périodes de contestations, souvent violentes, qui entraineront une réaction violente du pouvoir contesté lequel n'hésitera pas à faire usage de bastonnade, emprisonnement, exil ou même la mort. Le dictateur ou l'apprenti dictateur sera contraint à son tour soit de démissionner ou prendre comme ses victimes le chemin de l'exil. Certains de ces personnages ubuesques restent tranquilles, d'autres, considérant le pouvoir comme étant un héritage familial, ne sont pas arrivés à digérer leur sortie. Ils reparaissent sous le pelage d'un homme nouveau attendant, tapi dans l'ombre, le meilleur moment pour reprendre là ou ils avaient été stoppés. Et la ronde continue. Gesler Jean-Gilles |
samedi 6 août 2011
Les élections sont-elles capables de résoudre les crises politiques en Haïti?
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