samedi 6 août 2011

Les élections sont-elles capables de résoudre les crises politiques en Haïti?

Les  élections  sont-elles  capables de  résoudre  les crises politiques  en  Haïti?

Montréal  le  3 août 2011

Par  Gesler Jean-Gilles

Dans  les pays démocratiques  la prise du pouvoir se fait uniquement aux moyens  d'élections.  Lors qu'une crise politique persiste au point de bloquer le fonctionnement de l'État, seul  le recours aux urnes  est  en mesure  de  la résoudre  et   de normaliser le processus démocratique. Quand les positions sont trop rigides et qu'aucun parti ne se décide à faire le premier pas vers  le compromis salutaire,  le peuple peut en décider à travers son bulletin de vote.

Dans les régimes semi présidentiels, comme la  France, le président,  jouissant  de son  droit de dissolution,  peut mettre  fin  aux travaux de la législature  à  tout moment  et  appelle à de nouvelles élections.  En Israël qui est par exemple  sous l'emprise d'un régime de type parlementaire, le Premier ministre,  devant la persistance du blocage,  présente  la  démission de son gouvernement  et  fixe lui-même la date des prochaines élections.

Les  opinions  publiques nationales,  imbues de  leur rôle dans  la construction de la démocratie,  conscientes  de l'impact  du  blocage politique sur les conditions de vie de la société,  se jettent dans la bataille  pour  orienter le choix de l'électorat  en faveur  du  Parti  qui  leur  semblera  à même de  de défendre les  intérêts supérieurs  de la nation.  En dehors de la voie électorale, il n'y pas d'autres moyens  de concilier des  parties dont les positions sont diamétralement opposées.  L'électorat peut aussi  bien reconduire le gouvernement  sortant en lui  renouvelant  sa confiance en vue de la poursuite des réformes; ou  dans l'autre cas de figure confier le pouvoir à l'opposition sur la foi des  promesses  de mieux faire. 

En  Haïti, depuis la chute de la dictature duvaliériste, le pays est plongé dans une instabilité politique chronique qui  a  occasionné   deux interventions militaires étrangères  ayant  entamé sérieusement  sa souveraineté.  Toutes les  élections qui ont  eu  lieu à partir de  novembre 1987 n'ont pas su créer le cadre politique  propice  à  la normalisation des institutions nationales et de la vie politique.  Ces élections semblent même  constituer la bougie d'allumage  de ces crises à répétition. Quand elles ne sont pas noyées dans le sang (massacre des électeurs de la ruelle Vaillant, novembre 1987); elles se sont déroulées dans une atmosphère de fraude  massive (bourrage d'urnes),  de corruption qui entache  la légitimité du  vainqueur.  Le personnel politique issu de ces élections  est  contesté au départ,  n'a  pas de légitimité  parce qu'il ne représente pas  le choix de l'électorat.  Les  élections  ne  permettent  pas  d'apprécier  le  poids  réel  d'un groupement sur l'échiquier politique.  La malice populaire les désignera sous le nom de  président  ou  parlementaires  contestés.  Cependant, ces dirigeants contestés  se gaussent  bien de ces bonnes âmes qui crient à la manipulation et à la fraude  parce qu'ils peuvent  compter sur  une  reconnaissance de la communauté internationale; c'est-à-dire ces  4 ou 5 ambassades les plus influentes  qui  interviennent quand  bon leur semble  dans les affaires intérieures d'Haïti.  En 2006, cette  communauté internationale,  qui  finance  d'ailleurs  les élections,   n'avait pas  trouvé  anormal  que le conseil électoral  proclame  René Préval  vainqueur dès le premier tour avec un score de 48,15% des voix.  Elle s'était empressée  de  reconnaître  la  victoire du  candidat  qui  n'avait pas obtenu la majorité de 50% + 1 et  que la loi électorale  avait contraint  à un second tour  en compagnie du candidat Leslie Manigat.

 Nos amis de la communauté internationale  sont sans doute de grands démocrates, mais seulement à  l'intérieur de leurs frontières.  Il  faut se rappeler  que  le président sortant  Lula du Brésil était confronté à la même situation que René Préval. Il avait obtenu au premier tour un score  très proche de la majorité absolue,  49,40%.  Mais dans le strict respect des lois du Brésil et pour ne pas choquer l'opinion publique,  il  était  soumis  à  un deuxième  tour, conformément à la loi électorale du pays.

 Pour se perpétuer au pouvoir, ces  régimes, militaire ou civil,  via  le concours  d'un appareil  électoral  stipendié,  organisent  des législatives  sur mesure (1988, 1997, 2000, 2009) dont les résultats loin de calmer les esprits les a plutôt exacerbés.   La seule fois que des  élections  paraissaient acceptables aux yeux de la nation, c'était en décembre  1990,  mais les perdants s'étaient  très vite  révélés  de très  mauvais perdants  en  se  constituant  dès l'entame  du nouveau mandat une sorte  de minorité de blocage. Tout ce que le pays comptait  d'éléments rétrogrades, antidémocratique et de forces de la corruption,  ayant profité  des maladresses  et erreurs du président, s'étaient  ligués pour réaliser  sept mois plus tard, le 30 septembre 1991,  le coup d'état le plus sanglant de son histoire,  et plonger le pays  dans  une crise profonde que  ne résoudra pas le retour triomphal du président Aristide  dans les fourgons de l'armée américaine,  en octobre 1994.

Haïti, singulier petit pays, avait écrit Edmond Paul, homme politique et penseur du XIXe siècle. Son contemporain, Louis-Joseph janvier  parlait  d'un pays tête en bas.  Façon de dire que nous ne faisons pas les choses comme tout le monde en Amérique.  Cette singularité semble être un passeport pour l'absurde, le grotesque et l'ubuesque.  Les élections générales de 2011 viennent relever encore une fois le côté  ténébreux  des politiciens haïtiens.  Le président Préval et son parti Inité,  devaient être sévèrement sanctionnés par les électeurs pour  le  bilan nettement négatif de son régime :  mauvaise gestion de la catastrophe du 12 janvier 2010,  situation économique désastreuse  qui   plonge  la majorité de la population dans le désarroi, les conditions sanitaires qui tuent par milliers, l'insalubrité des villes,  la dégradation de l'environnement, la mauvaise qualité de l'enseignement qui ne répond plus aux besoins de la société, la corruption généralisée  dans l'administration publique et privée, et  tant d'autres éléments qui  consacrent  la faillite de ce groupe  au pouvoir.  Dans tout autre pays ce parti  serait rayé de la carte électorale.   C'est l'inverse qui  s'est produit.  Le  candidat du pouvoir aux présidentielles, Jude Célestin,  a failli gagner si la rue ne s'était pas  manifestée avec   vigueur  pour forcer le Conseil électoral  à  respecter  ses votes.  Le  parti Inité, avait  pu entre temps,  dès le premier tour des législatives,  se  fabriquer par toutes sortes de moyens peu démocratiques   ou  carrément anti-démocratiques une majorité  pour   imposer  un  premier ministre au  président de la république, en violation de l'article 157 de la constitution.  Ce parti se comporte manifestement comme ayant gagné les élections  et  qu'il lui  revenait  de droit  de former le gouvernement.  Le désir de  garder le pouvoir pour continuer à jouir des privilèges qu'il procure,  conjugué  à la soif de vengeance  du  secteur  lavalas  pour la perte du pouvoir en 2004, constituent la cause principale de  la crise actuelle.  Ce faisant  ce secteur politique, en rejetant  le choix de Bernard  Gousse comme  Premier ministre,  a  non  seulement  infligé  un  second  revers  au  président  Martelly , mais  encore il  indique  que   plus  rien  ne  bougera  s'il n'y  trouve pas son compte.   

 La vie politique  haïtienne  est  un condensé  d'événements déplorables  qui  ont eu des répercussions directes sur les conditions de vie des Haïtiens et   sur le fonctionnement  des institutions. Ce cycle infernal  se résume  ainsi : des élections frauduleuses qui seront suivies de périodes de contestations, souvent violentes,  qui  entraineront   une réaction violente  du pouvoir contesté  lequel n'hésitera  pas  à faire  usage  de  bastonnade, emprisonnement,  exil  ou  même  la mort.   Le dictateur ou l'apprenti dictateur sera contraint à son tour soit de démissionner  ou prendre comme ses victimes le chemin de l'exil.  Certains de ces  personnages ubuesques   restent tranquilles, d'autres, considérant le pouvoir comme  étant un héritage familial, ne sont  pas  arrivés  à   digérer  leur  sortie.  Ils reparaissent  sous  le pelage  d'un homme nouveau   attendant,  tapi  dans l'ombre,  le meilleur  moment  pour   reprendre   ou  ils avaient  été stoppés.  Et  la ronde continue.

Gesler Jean-Gilles

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